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jeudi 24 novembre 2011

Jean-Pierre Jouyet : « Les marchés ont les armes pour attaquer les Etats »

Source: Les Echos

 Le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) estime que plus les réponses politiques nationales, et les réponses politiques et institutionnelles européennes tarderont, plus le prix demandé par les marchés sera important.

De nombreuses dettes souveraines sont attaquées, les Bourses sont très chahutées. Les dirigeants politiques sont-ils en train de perdre le contrôle de la crise de la zone euro ?

Nous sommes engagés dans une course contre la montre entre les autorités publiques et les marchés. Dans ce type de course, les marchés sont plus rapides et leur pression s'accentue aussi bien au niveau de la zone euro qu'au niveau national. Le dosage entre rigueur budgétaire, maintien d'une certaine activité économique et assouplissement monétaire devient extrêmement complexe. D'autant plus complexe qu'il n'y a aucune réponse politique cohérente à ce triptyque dans la zone euro.

Faut-il accélérer la réforme des traités européens ?

C'est un autre sujet. On pourra s'engager dans des révisions de traités quand on sera d'accord sur les objectifs politiques. Il faut donc parvenir rapidement à un accord au sein de la zone euro sur le rôle précis du Fonds européen de stabilité financière (FESF), sur les relations entre le FESF et la BCE et sur la mise en oeuvre de mécanismes de surveillance budgétaires contraignants ex ante.

A quelles conditions pourrait-on parvenir à cet accord ?

Les termes du débat sont connus de tout le monde. Les Allemands ne bougeront pas sur les statuts de la BCE et l'augmentation des capacités du FESF s'ils n'ont pas des assurances claires sur la surveillance budgétaire ex ante. Faute d'accord, le FMI pourrait devenir surveillant général de la zone euro. Les débats sur les euro-obligations sont subordonnés aux choix politiques d'intégration budgétaire.

Serait-ce suffisant pour rassurer les marchés ?

Je l'espère. Mais plus nous prendrons du retard dans les réponses politiques nationales et dans les réponses politiques et institutionnelles européennes, plus le prix demandé par les marchés sera important. Le jeu sur les dettes souveraines -Grèce, puis Espagne, puis Italie... -est assez simple. Les marchés ont les instruments pour les attaquer, et ils ont le temps pour eux. Mais ne confondons pas : ce n'est pas parce que certains Etats européens rencontrent des difficultés avec leurs dettes publiques que l'euro, en tant que monnaie unique, devrait être considéré comme en danger, c'est la une erreur de raisonnement.

La France est-elle menacée ?

Il y a effectivement aujourd'hui une certaine focalisation sur la France comme sur les autres pays notés triple A. Et ce pour des raisons qui me semblent irrationnelles, car les fondamentaux n'ont pas plus varié depuis le printemps dernier ici qu'au Royaume Uni ou aux Etats-Unis. Le AAA français est un enjeu européen car il conditionne la stabilité du FESF. Dès lors qu'il devient l'alpha et l'oméga de toutes les politiques, il convient d'en tirer toutes les conséquences et de mener une politique courageuse, cohérente et durable de redressement des finances publiques. Par ailleurs, les Etats-Unis, qui ont été la première puissance à être dégradée cet été, n'ont jamais placé autant de bons du Trésor à des taux aussi bas. Cela montre qu'il faut absolument construire dans la zone euro un système fédéral sur le plan économique et budgétaire.

A terme, un nouveau traité sera donc nécessaire...

Je suis pour toute réponse institutionnelle qui améliore la gouvernance de la zone euro, c'est l'intérêt de tous dans la tourmente actuelle, y compris de nos amis allemands. Mais si nous devons passer un accord politique à dix-sept avec un troisième « opting out » des Britanniques sur la régulation financière (après l' « opting out » fiscal et social), c'est cher payé. Le risque c'est d'avoir une politique de rigueur budgétaire dans la zone euro et une politique de dérégulation financière dans l'Union européenne. Autrement dit, nous perdrions sur les deux tableaux avec en prime le départ des infrastructures de marché pour Londres.

Comptez-vous rester à votre poste jusqu'à la fin de votre mandat en 2013 ?

Oui, bien sûr. Mon mandat n'est d'ailleurs pas renouvelable.

Participerez-vous à la campagne présidentielle ?

Absolument pas. Je ne fais partie d'aucun dispositif de campagne, il vous suffit de regarder les organigrammes. Je sais, en tant que président de l'Autorité des marchés financiers, où sont les droits et les devoirs d'une charge, quels que soient mes liens amicaux connus.

Quels sont les dossiers qui vous paraissent les plus urgents aujourd'hui ?

Ce qui me paraît le plus important, c'est l'organisation et la transparence des marchés, CDS compris. C'est une question qui devient éminemment politique. De ce point de vue, le G20 de Cannes a posé de bonnes balises. En Europe, l'enjeu central concerne les négociations autour de la nouvelle directive MIF. Il y a de bonnes choses dans cette nouvelle version, notamment en ce qui concerne l'obligation pour les dérivés d'être négociés sur des plateformes multilatérales ou l'extension des obligations de transparence au marché obligataire. Cependant, concernant les actions, nous souhaiterions aussi rapatrier les opérations de gré à gré sur de vraies plates-formes multilatérales. Or, de ce point de vue, les propositions de la commission comportent un risque que le nouveau dispositif « OTF » capte les transactions aujourd'hui effectuées sur les plateformes multilatérales ou les marchés réglementés sans venir réduire la part de l'OTC. Il y a aussi un manque de volontarisme pour la création d'une « consolidated tape » qui assurerait, comme aux Etats-Unis, la transparence sur les données de marché post négociation. Nous ne pouvons laisser cette initiative au privé. Enfin la copie pourrait être plus ambitieuse sur la surveillance centralisée des ordres et des transactions en Europe.

Les dernières propositions de la Commission européenne sur les agences de notation financière vous ont-elles déçu ?

Je dirais trois choses à ce sujet. Tout d'abord, le plus important, c'est d'activer au plus vite les contrôles en matière de méthodologie au niveau européen. Et en particulier, d'examiner l'utilisation croissante des CDS comme référence dans la notation souveraine, alors que l'on connaît l'opacité et le manque de liquidité de cet « anti-marché ». Ensuite, je pense que l'abandon de la mesure qui suspendait la notation souveraine d'un pays sous surveillance est une bonne chose. Il ne faudrait pas qu'au « shadow banking » évoqué par le G20 succède le « shadow rating » avec le développement de notes souterraines. Enfin, la notation n'est que le reflet atténué du sentiment des marchés. On ne peut pas tout mettre sur le dos des agences de notation.

Faut-il interdire le trading de haute fréquence ?

C'est un dispositif qui est hors de proportion par rapport aux avantages que -peut-être -il procure en termes de financement de l'économie. D'un outil censé fournir des liquidités, on est passé à un outil extrêmement coûteux pour les banques et les infrastructures -qui sont obligées de s'équiper pour maintenir leur part de marché -et extrêmement déstabilisant pour les marchés. Je pense que ce n'est ni bon pour les grands acteurs qui voient leur marges réduites, ni pour les petits qui se retrouvent exclus du fait du ticket d'entrée exorbitant, ni bon pour les épargnants.

A vous entendre, l'organisation et la transparence des marchés a relativement peu évolué depuis 2008. Y voyez-vous un échec de la régulation ?

C'est un long combat. La situation a évolué pour les agences de notation. Il y a des principes qui ont été adoptés pour mieux réguler les marchés de matières premières ; des mesures ont été prises sur les fonds alternatifs, les ventes à découvert, l'encadrement des bonus, les centres « offshore ». Depuis Lehman, il y a eu une prise de conscience politique et un consensus s'est fait jour pour rattraper le retard réglementaire vis-à-vis des marchés. A son niveau l'AMF a pris en compte l'impact de la crise. Elle a adopté un plan stratégique et a adapté ses moyens. L'AMF se finance sur ressources propres, nous avons programmé les recrutements permettant de faire face aux évolutions constantes des marchés. Il serait absurde de vouloir les limiter au moment où la re-régulation est cruciale.

Les fonds indiciels, les ETF, forment-il une nouvelle bulle ?

Il faut sans doute améliorer encore l'information et la transparence sur les risques liés à ces produits et réguler les aspects qui ne le sont pas encore. Par ailleurs, nous avons bien conscience de la bataille industrielle qui a lieu dans le domaine des ETF. Nous ne faisons pas de distinction entre les ETF synthétiques et les ETF avec sous-jacent physique. Selon nous, les synthétiques ne sont pas plus risqués. On ferait un faux procès en distinguant les deux.

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