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lundi 3 septembre 2012

Entretien avec Olivier Delamarche : la fin du monde pour bientôt?

Source: Ragemag

Les économistes sont comme les météorologues, ils se trompent, mais on a parfois l’impression que rien ne remet en cause les modèles de prévision qu’ils utilisent. Qu’est-ce qu’il leur manque ?
Olivier Delamarche, BFM Business
Ce qui leur manque c’est une analyse macroéconomique. Faire de la macroéconomie, c’est analyser les chiffres, les confronter aux autres pour voir si c’est cohérent ou pas, afin de bâtir de vrais scénarios sur les cycles économiques et sur les conséquences des actions des banquiers centraux. Le problème, c’est que les économistes de marché ne font pas de prévisions. Ils sont toujours surpris par les chiffres qui tombent. Ils ne font que les commenter sans jamais faire de scénario. Fin 2007, Patrick Artus disait “tout va bien, il n’y aura pas de récession“. Christine Lagarde disait “c’est pas parce que quelques ménages ne remboursent pas leurs maisons, que ça va provoquer une récession en Europe et des problèmes bancaires“. On réagit à des chiffres sans bien les comprendre car peu de gens  font de la macro.
“Pour les économistes de marché, la crise de 2008 ne pouvait pas exister”
Comment les économistes de marché réalisent leurs prédictions ?
En caricaturant, on peut dire qu’ils prennent une règle et tracent une droite. Ils ont quelques points sur un graphe, ils prolongent et  disent: “Dans 10 ans, on sera là!”. Ça c’est vrai dans les contes de fées. En réalité, il y a des cassures, des tensions etc… Donc forcément, ce que vous avez prévu n’arrive pas. Tout est basé sur la loi de Gauss, alors que c’est une énorme connerie. Pour ces gens-là, la crise de 2008 ne pouvait pas exister. Quand on écoutait les politiques et les économistes, ils nous racontaient que c’était passager, et qu’on allait repartir sur un taux de croissance de 3% comme avant. On a fait comme si on ne s’était jamais trompé.  C’est pour ça qu’on voit les politiques incanter la croissance.  On dirait qu’ils ont des boutons “inflation”, “chômage”, “croissance”, et qu’ils appuient dessus. Ils sont fabuleux ces gens !
Vous avez dit dans une chronique que le marché était en lévitation totale: soutenu par rien. Mais le marché n’est qu’une invention de l’homme.  Ce n’est pas quelque chose de palpable. Et si tout cela n’était que du vent ? Y a-t-il vraiment des contre parties, en termes réels, des dettes ?
Oui d’accord.  Mais à partir du moment où vous avez une monnaie qui vous permet d’échanger des biens, et que vous avez  un stock de dettes,  allez dire à celui qui vous a prêté qu’il peut aller se faire foutre. Je ne suis pas sûr qu’il soit content. Quand vous avez un créancier, vous avez aussi un débiteur. Donc si vous ne remboursez pas, c’est une solution…  Mais elle aura des conséquences. J’ai, par exemple, indiqué que le Japon allait faire un défaut de paiement. Il faut savoir que 90% de la dette japonaise appartient aux Japonais. Allez leur dire: on ne rembourse pas la moitié de notre dette, car on est trop endetté. Je ne suis pas sûr que ça  fasse rire les Japonais de perdre la moitié de leur épargne. C’est naïf de penser qu’il  existe une solution sans conséquences. On va souffrir terriblement. Si vous ne remboursez pas, ce sont les épargnants qui vont trinquer.  Mario Draghi dit : ”on a tondu suffisamment les contribuables, on va devoir tondre les créanciers mais les créanciers ce ne sont pas les épargnants“. Ah bon ? Et les assurances-vie remplies de bons du trésor, ce n’est pas de l’épargne ? Mais les créanciers ce sont également nous !

Super Mario Draghi

Vous reprochez la politique monétaire de la BCE. Quelles ont été les erreurs faites ?
On dit souvent qu’on ne fait pas la même chose qu’aux Etats-Unis.  C’est complètement faux.  Le bilan de la BCE est encore plus dégradé que celui de la FED. Elles ont en fait la même politique, qui consiste à racheter les obligations de leurs pays. Aux Etats-Unis,  le Trésor américain émet les obligations américaines, qui sont rachetées par les primary dealers de  Goldman Sachs. Une fois acquis, ces bons sont revendus sur le marché obligataire et rachetés par la Fed. Ce qu’on réclame en Europe, c’est que la BCE achete directement. Quelle est la différence ? Aucune. Le système consiste à accepter des garanties en échange des prêts de plus en plus pourris. C’est ce qu’on appelle les collatéraux. Quand la BCE rachète des obligations d’Etat de mauvaises qualités, on abouti  au cas grec. Pour la Grèce, la BCE a fait 47 milliards en direct d’obligations grecques dans son bilan, et elle avait 150 milliards de collatéral pourri en garantie. L’exposition à la Grèce est donc de 190  milliards. Là-dessus, arrive le fameux Hair cut (annulation d’une partie de la dette) pour les banques privées. Pourquoi la BCE a dit que ça ne concernerait que les banques privées et pas l’Etat Grec?  Parce qu’elle ne pouvait pas faire d’Hair cut sur les 200 milliards de dette grecque. Sinon elle sautait. Je vous laisse imaginer les conséquences… Le souci, c’est que les banques privées avaient déjà  largement dégagé leurs obligations grecques. Donc, c’était  les banques grecques qui possédaient la dette grecque. Par conséquent lors du Hair cut, elles étaient déjà toutes en faillite! L’Etat grec a donc été recapitalisé. Résultat de l’opération: on est passé  de 125% de dette à 159% une fois qu’on a recapitalisé la dette grecque… Passionnant non ? Et en ce moment, on fait pareil avec l’Espagne.  La BCE dira une nouvelle fois qu’on ne peut pas racheter la dette espagnole. La BCE est donc devenue un énorme hedge funds avec des obligations pourries. Alors après on appellera  les Banques centrales des pays. C’est à dire qui? Nous ! Nous allons recapitaliser la BCE.


Et si tout simplement la BCE se portait garante des dettes souveraines. Les marchés arrêteraient-ils d’attaquer les pays les plus en difficultés ?
C’est une absurdité ! C’est le principe du Fond de sauvegarde qui doit être remis en question. On fait un Fond quand on a les moyens. Là, on va demander aux pays de l’Euro de mettre de l’argent au cas où il arrive quelque chose. Par exemple, l’Italie met 150 milliards dans le FESF pour que cet organisme puisse leur prêter 150 milliards. Il y a quelque chose qui m’échappe…  Alors tout le monde dit: “les Allemands vont payer“. Et bien au bout d’un moment, l’Allemagne partira.  Contrairement à ce qu’on dit, ça ne les dérangera pas plus que cela d’exporter avec un deutsche mark fort. Ces systèmes ne marchent donc pas. On ne sauvera aucun pays en ajoutant de la dette à un truc déjà endetté. C’est une aberration mentale ! C’est tellement idiot qu’on se demande si un ou deux réfléchissent.
“Aujourd’hui on tue les Grecs. On les empêche de s’en sortir et en tuant les Grecs on se tue nous-même”
Sommes nous dans un cercle sans fin ?
Il faut arrêter de soutenir des trucs pas soutenables. Il faudrait sortir les pays en difficultés. On aurait du sortir la Grèce il y a 3 ans. D’une part, cela nous aurait coûté  moins cher et, d’autre part, on aurait pu leur permettre de s’en sortir. Comme l’Argentine. Aujourd’hui on tue les Grecs. Et en les tuant, on se tue nous-même. Le prix va être très cher.
Quelles sont les conséquences d’un défaut de paiement ? Sur la confiance, l’épargne… ?
C’est sur l’épargne des citoyens et sur la confiance internationale surtout. La dette européenne n’est pas uniquement détenue  par les Européens, mais par différents pays. Quand vous allez voir  votre population vous leur dites “on vous a ruiné“,  vous risquez une guerre civile. Et si vous allez voir un autre pays et vous lui dites que vous l’avez ruiné, vous risquez une guerre tout court. Dites demain aux Chinois, aux monarchies arabes du golfe, aux Russes… « Ecoutez, on vous rembourse pas ». Ça peut se finir mal.
“J’avais dit un moment que Ben Bernanke était plus dangereux que Ben Laden“
C’est donc au-delà du risque économique ?
Evidemment ! Quand Bernanke fait ses crétineries de quantitative easing, on voit tout de suite les matières premières qui sont au plus haut instantanément, dont les denrées alimentaires. Et quand on à rien à bouffer, ça énerve ! J’avais dit un moment que Ben Bernanke était plus dangereux que Ben Laden. Je pense que Bernanke a directement influencé les révolutions arabes puisque, curieusement, les révolutions ont commençé dans le sud - les régions les plus pauvres de ces pays. Les individus ne se sont pas réveillés du jour au lendemain.  Ces gens-là se sont soulevés parce qu’ils n’avaient plus rien à manger. Et ce n’est pas fini, on est encore très hauts sur les matières premières, la spéculation est encore là. On peut donc prévoir des émeutes et des soulèvements. Mais lui vous dira qu’il n’y est pour rien dans cette augmentation, que ce sont les récoltes etc… Seulement à chaque quantitative easing, les quantités échangées sur les matières premières sont multipliées par 100 ! Alors au bout d’un moment ça devient un peu fatiguant et lassant.
“Aujourd’hui, vous pouvez faire n’importe quoi: ruiner une banque, un pays, ou mettre  50 00 personnes dehors. En général vous touchez votre petite prime au passage et personne ne vous en veut.”
Pensez-vous que l’affaire de manipulation des taux Libor/Euribor devrait être traitée de manière plus sérieuse par les autorités Européennes ?
Le problème, c’est qu’aujourd’hui, quand vous regardez bien les choses, il n’y a aucune sanction à l’encontre des banquiers et des personnes qui mettent en risque les pays ou les sociétés pour lesquels ils travaillent. Vous pouvez faire n’importe quoi, ruiner une banque, un pays, ou mettre  50 00 personnes dehors. En général vous touchez votre petite prime au passage et personne ne vous en veut. Tant que c’est comme ça, qu’est-ce que vous voulez faire ? Le jour où il y aura de vrais sanctions et qu’on acceptera de revenir au Glass-Steagall Act, c’est-à-dire de séparer les banques de marché et les banques de dépôts,  alors les banques de marchés s’écrouleront et  le monde ira mieux. Actuellement, les gens qui perdent des milliards de dollars sont sauvés alors qu’ils font des conneries. Dans ce cas, si papa sort son chéquier pour vous sauver le fils à chaque fois, c’est « no limit ». On tape sur les doigts des banquiers et après?
“Les sanctions tomberont le jour où les banquiers se retrouveront dans des états de faillite, c’est-à-dire bientôt.”
Pourquoi est-ce si dur de réguler le système financier ?
Parce que vous avez des intérêts, des lobbys bancaires très efficaces et que ce petit monde golfe ensemble. En 2008, il y avait un créneau  intéressant car les banques étaient en train de se noyer. Or, quand vous voulez négocier avec quelqu’un, c’est bien mieux lorsque ce dernier est en position de faiblesse. Au lieu de cela, on a estimé qu’il était plus malin de les sortir de l’eau, de les sécher et de leur donner à manger. Et une fois qu’ils étaient revenus en forme, on leur a demandé « excusez moi monsieur, s’il vous plaît faites quelque chose ».



Les banquiers ont répondu « Vous pouvez aller vous faire voir ! Et puis si tu n’es pas content de ma réponse, alors je ne distribue plus de crédit ». Alors que les banques le faisaient déjà d’ailleurs !  Depuis 4 ans les banquiers font juste n’importe quoi. Vous avez vu une sanction ? Elles tomberont le jour où les banquiers se retrouveront dans des états de faillite, c’est-à-dire bientôt.
Pourquoi y a-t-il tant de produits financiers toxiques ?
Il faut bien se dire qu’au départ c’est une décision politique. Les gouvernements ont estimé que 2% de croissance ça ne suffisait pas, il fallait du 5%. On a alors dit aux banquiers : “Allez-y ! Et si en plus vous faites des conneries, on sera là pour payer“. C’est la porte ouverte à tout. Si vous avez une banque de dépôts sur laquelle vous mettez 100. Sur cette base de 100 on va vous prêter 120 sans réelle émission  monnaie. Alors, on aura une croissance de 2,5% maximum. Pour avoir du 5%, il faut utiliser l’effet de levier. Quand il est à 1,2%, comme précédemment, ça va. Par contre, quand vous avez un levier de 50, comme on l’a vu, c’est sûr que vous êtes en risque. Ils font des trucs de plus en plus pourris, car il faut l’effet de levier maximum pour battre le petit copain. Au bout d’un moment ça vous explose à la figure.
Un économiste, Nicholas Kaldor appelait la période des années 80 « la revanche du rentier ». Pourquoi ne pourrait-on pas revenir à une situation « d’euthanasie du rentier », qui prévalait dans les années 60 -70 (taux confiscatoire de l’impôt sur le revenu, taux d’intérêt très faible, partage de la VA favorable aux salariés…) ?
Le problème, c’est que vous allez avoir l’euthanasie de tout le monde. Avant, vous aviez en effet une meilleure répartition de la richesse mondiale, mais le problème c’est qu’aujourd’hui on est allé beaucoup trop loin ! Et il est illusoire de penser que par une quelconque mesure, vous pouvez vous en tirer sans casse. Ça fait un moment qu’on a passé  le point de non-retour. On a pris les mauvaises décisions à chaque mauvais moment. Merci Bernanke, Trichet, Draghi ! Je pense que ces gens-là ont mal assimilé Keynes, qu’ils en ont fait du “Canada Dry” de Keynes. On ne s’en tire pas en endettant les gens et en créant du crédit à tout va. Aux Etats-Unis on a voulu vivre avec une croissance qui n’était pas en accord avec la croissance réelle. Evidemment, tout le monde était content: les Américains avaient 3 bagnoles, 2 maisons, et les Européens aussi, car ils exportaient. Quand vous vivez au-dessus de vos moyens, à un moment il faut payer. On fait comme si on allait pouvoir continuer à faire marcher la planche à billets pour poursuivre cette croissance impossible. Il faut au bout d’un moment payer la note. C’est ce que les Etats ont refusé de faire.
“Bernanke, au lieu de resserrer un peu, il est allé dans l’autre sens. On était sûr que ça allait nous péter à la figure.”
La croissance mondiale est en panne et les grandes puissances économiques (Chine, Etats-Unis, Europe, Japon) ne semblent pas aller mieux.  A quoi sommes-nous condamnés ?
La Chine est en récession beaucoup plus qu’on ne le dit. C’est atterrant ce qu’on entend de la part des économistes ou des journalistes. Personne ne contrôle les chiffres qu’on nous donne. Vous vous apercevez que la croissance chinoise est à 3,5% maximum. Les Chinois ont trouvé un truc exceptionnel ! Ils arrivent à faire 7% de croissance sans consommer plus d’électricité ! Les chiffres sont trafiqués. On vous annonce 65 millions de logements vides. Je ne comprends pas comment personne ne s’en rend compte. Dans certaines villes de Chine, on a l’impression d’être dans un film post-nucléaire. Des villes de la taille de New York vides. Et on vous dit: tout va très bien.


De toute façon, on va passer par une récession forte, voir une dépression. Il faudra revenir à une croissance soutenable, mais ce ne sera pas les 5-6% qui feraient plaisir aux hommes politiques. Auparavant, les cycles étaient assez bien contrôlés par les banques centrales. Quand vous aviez une période d’expansion, la BC limitait le crédit, remontait les taux d’intérêts pour limiter les tensions sur le marché de l’emploi, sur les prix et les matières premières. A un moment vous étiez en haut de cycle. Vous redescendiez, et la Banque Centrale accompagnait la phase de récession en relâchant le crédit et baissait les taux d’intérêts. En haut de cycle, il était préférable de resserrer un peu le robinet du crédit pour qu’il y eût moins de pression dans le tuyau. Seulement Bernanke, au lieu de le resserrer un peu, il est allé dans l’autre sens. On était sûr que ça allait nous péter à la figure. C’est très simple à comprendre, mais on nous montre ça de manière très compliquée.
Face à toute ces bonnes nouvelles, quelles sont vos prévisions sur l’état de l’économie au cours des années à venir?
Les choses s’accélèrent à vue d’œil et on s’aperçoit que les autorités économiques et politiques n’ont pas grand-chose à mettre en face.  Il faut écouter Draghi,  il dit beaucoup de conneries. Quand il a baissé les taux, il a expliqué que les mesures non conventionnelles ne marchaient pas. La semaine d’après, il nous a annoncé qu’il utiliserait tous les moyens nécessaires, même ceux non conventionnels. Si ce n’était pas dangereux de dire des choses aussi contradictoires, ça serait drôle. Seulement la BCE n’a plus rien dans la musette: leurs dirigeants ne tiennent que par les mots et par la crédibilité de ceux à qui ils s’adressent. Il faut dire aux gens que ça va mal, très mal. Beaucoup plus que vous ne le pensez.17

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